
Autrefois, la grève était l’arme ultime des travailleurs, un véritable coup de poing qui paralysait l’économie et forçait les patrons à plier. En arrêtant le travail, les ouvriers rappelaient à quel point ils étaient indispensables, transformant leur faiblesse individuelle en une force collective écrasante. Cet élan collectif, cette capacité à bloquer la société, était même érigé en mythe, comme le rêvait Georges Sorel, voyant la grève générale comme une « bataille napoléonienne » destinée à anéantir l’adversaire. La dignité politique et le pouvoir retrouvés par les travailleurs étaient alors palpables, révélant la dépendance du système à leur égard.
Jusqu’à la fin des « Trente Glorieuses », un équilibre précaire existait : le pouvoir économique des employeurs, le contre-pouvoir des syndicats capable de stopper toute production, et l’État en arbitre. Cette période a vu une flambée des mouvements sociaux, avec des millions de journées de travail perdues chaque année, témoignant de la vitalité des luttes. Mais cette ère est révolue, balayée par l’avènement du capitalisme spéculatif et son culte de l’individu.
Depuis les années 1980, le vent a tourné. Le collectif a été sacrifié sur l’autel de l’individualisme. Aujourd’hui, chacun est sommé de négocier ses propres conditions, ses salaires, ses promotions, transformant le monde du travail en une jungle où seuls les plus aptes à se « vendre » survivent. Les moins favorisés, laissés pour compte, n’ont plus que les miettes du droit du travail pour se défendre. Le résultat est sans appel, désastreux : le nombre de journées de grève a chuté de façon vertigineuse, s’effondrant à moins de 100 000 par an en 2022. C’est une déroute, une perte de près de 70 fois le niveau des années 1970. L’outil le plus puissant des travailleurs est désormais une relique du passé, laissant le champ libre à la domination sans entraves du capital.