
Alors que la France s’apprête à « célébrer » les 80 ans de la Sécurité sociale, l’heure est au constat amer. Loin de son ambition révolutionnaire initiale, l’institution semble aujourd’hui engluée dans un débat stérile, réduit par la droite et l’extrême droite à une opposition simpliste entre « travail » et « assistanat ». Le capital, grande ombre au tableau, a mystérieusement disparu de l’équation, laissant les travailleurs face à un système qui peine à masquer ses défaillances.
L’ordonnance du 4 octobre 1945, texte fondateur, visait pourtant à « débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain », à gommer cette « distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère ». Force est de constater que cet objectif, d’une justice sociale élémentaire, reste largement un vœu pieux. Les inégalités, loin de s’estomper, se sont métamorphosées, persistant entre malades et bien portants, actifs et retraités.
La vocation première de la Sécurité sociale était de réduire les fractures entre ceux qui ne possèdent que leur force de travail et les détenteurs du capital. Le texte de 1945 était on ne peut plus clair : il s’agissait d’une « redistribution du revenu national » pour « compléter les ressources des travailleurs et familles défavorisés ». Or, après huit décennies, cette redistribution semble avoir perdu de son audace, voire de son efficacité. La menace de la misère, bien que transformée, plane toujours sur une part non négligeable de la population.
Ironiquement, la radicalité de cette vision n’était pas l’apanage des seuls communistes ou syndicalistes. Pierre Laroque, conseiller d’État et spécialiste des assurances sociales, figure majeure et pourtant issue d’une tradition différente, a également façonné ce que l’on qualifiait alors de « révolution conceptuelle ». Une révolution qui, aujourd’hui, semble s’être enlisée dans les méandres des compromis politiques et des contraintes économiques, loin des ambitions audacieuses de ses fondateurs.






