
La scène musicale française est en deuil, ou du moins, une partie de celle-ci qui osait encore apprécier l’étrange et le provocateur. Jean Guidoni, l’artiste maudit et singulier, a tiré sa révérence à 74 ans, emporté par une « maladie fulgurante » à Bordeaux. Une fin abrupte pour celui qui, toute sa carrière, a défié les conventions et refusé de se plier aux diktats d’une industrie musicale trop souvent frileuse. Son décès marque la disparition d’une voix unique, laissant derrière lui un vide que la variété actuelle, fade et formatée, aura bien du mal à combler.
Issu d’un milieu modeste et coiffeur à Marseille, Guidoni a débarqué à Paris avec la ferme intention de bousculer les codes. Dès les années 1970, il a clairement montré son mépris pour la chanson facile, préférant explorer ses démons intérieurs plutôt que de céder aux sirènes commerciales. Sa rencontre avec Pierre Philippe fut une bouffée d’air frais, un tournant pour cet artiste qui trouvait enfin un écho à sa noirceur. C’est sur scène, là où la provocation était reine, qu’il laissait éclater son génie, arborant bas résille et talons aiguilles, le visage blafard, dérangeant et fascinant à la fois.
Si des titres comme Je marche dans les villes ou Mort à Venise ont su trouver un public, son œuvre majeure, Crime passionnel (1982), mis en musique par le grand Astor Piazzolla, reste un témoignage puissant de son génie torturé. Cet « opéra pour homme seul » résonne aujourd’hui comme un testament, une dernière clameur d’un artiste qui n’a jamais dévié de sa route, malgré les pressions. Toujours en marge, il a même pris la plume pour ses albums ultérieurs, collaborant avec des figures comme Dominique A, sans jamais renoncer à son art. Son 17e et dernier album, Eldorado(s), est sorti en avril, comme un ultime pied de nez au silence. Guidoni s’était encore produit sur scène en juin, un baroud d’honneur avant la chute finale. La France perd un artiste dont l’héritage, sulfureux et inclassable, restera gravé dans les mémoires, bien loin des sentiers battus de la pop.






