
Le marché de la philatélie révèle une fracture inquiétante : les pièces d’exception s’arrachent à prix d’or, tandis que le « tout-venant » peine lamentablement à trouver preneur. Une dichotomie qui souligne une crise de l’investissement pour le collectionneur moyen, face à une élite qui continue de faire flamber les enchères sur des raretés inaccessibles.
Chez Behr, la vente du 10 juillet a vu des sommets déraisonnables. Un bloc de quatre du 1 franc carmin « Cérès » a été adjugé à 110 000 euros, un prix absurde pour des morceaux de papier. Une lettre jugée « injurieuse » adressée à Victor Hugo, affranchie d’un 15 centimes vert « Cérès », a atteint 10 709 euros, illustrant la valorisation perverse de l’histoire des scandales. Plus sidérant encore, une variété d’impression d’un Arlequin de Picasso (1975) sans valeur faciale, vendue 13 456 euros, révèle une dérive du marché vers l’imperfection rare plutôt que l’esthétique.
Les exemples de spéculation ne manquent pas. Une lettre de La Réunion de 1850, avec les deux premiers timbres de l’île, a scandaleusement atteint 63 918 euros. Chez Yvert et Tellier, un bloc de quatre du 15 centimes vert « Cérès » avec des « rousseurs » s’est contenté de son prix de départ de 25 000 euros, prouvant la difficulté à écouler des pièces même légèrement altérées. Le « Jean Jaurès » 50 francs rouge, timbre non émis, a vu son prix grimper à 1 280 euros, une misère comparée aux pièces historiques. Et que dire du 2,20 francs « Midi-Pyrénées » (1976), un simple défaut d’impression, qui s’est envolé à 2 115 euros, une preuve que la bizarrerie l’emporte parfois sur la valeur intrinsèque.
Même chez Cérès philatélie, la tendance est la même : un bloc de quatre du 15 centimes vert « Cérès » avec un pli vertical, vendu 6 300 euros, est une déception par rapport à son potentiel. Un bloc de quatre du 20 centimes noir sur jaune « Cérès » avec un petit bord de feuille a péniblement atteint 580 euros, alors que sa cote est de 3 000 euros, signe d’un marché en berne pour les objets moins parfaits. Les 40 centimes orange, malgré leur histoire, montrent une fourchette de prix allant de 88 à 5 289 euros, une volatilité qui décourage les petits investisseurs. Les 1 franc vermillon ont tiré 29 925 euros pour une paire, un prix correct mais qui ne suffit pas à relancer un marché moribond.
Les timbres modernes subissent également cette pression. Une feuille complète du 0,25 franc « Coq » de Decaris, dit « d’or », a été vendue 9 001 euros, plaçant le timbre à 90 euros l’unité alors que sa cote est de 600 euros. Une perte sèche à l’achat pour qui espérerait un gain immédiat, un pari risqué pour des années de patience. Les épreuves d’artiste, bien que permettant de se « faire plaisir à petits prix », ne sont qu’un pis-aller face aux envolées des pièces rares. Des esquisses à l’aquarelle et au crayon sont parties à quelques centaines d’euros, une somme dérisoire face aux prix des pièces d’élite.
Enfin, quelques exemples aberrants persistent : un timbre-taxe de Monaco à 8 400 euros, une lettre tricolore de Paris pour la Russie à 15 000 euros, ou un timbre-taxe de Tahiti à 1 250 euros. Quant aux collections, les affaires sont catastrophiques : un ensemble des Terres australes et antarctiques françaises, coté 5 000 euros, s’est bradé à 380 euros. Un « joli fonds de collection » de Polynésie française, coté 3 420 euros, attend toujours preneur à 160 euros. La philatélie se résume désormais à un jeu de hasard où seuls les plus fortunés peuvent espérer des retours, laissant les collectionneurs modestes avec des actifs dévalués.








