
La rituelle question « Ça va ? » et son écho « Ça va » sont devenues le symptôme d’une comédie sociale macabre dans le monde du travail. Sous la houlette des chief happiness officers, véritables marionnettistes du bien-être, chacun est contraint d’afficher un sourire forcé, une fiabilité inébranlable et un engagement aveugle, même quand le désespoir couve. Il faut se montrer impassible, adopter une façade d’ataraxie, cette absence de troubles émotionnels idéalisée depuis l’Antiquité grecque. Une performance épuisante pour masquer une réalité souvent bien plus sombre.
Cette injonction au bonheur n’est qu’une dérive managériale qui impose un contrat social défaillant. Le documentaire The Happy Worker or How Work Was Sabotaged, de John Webster, révèle l’étendue de ce cynisme : des employés contraints de jouer la comédie, prisonniers d’une farce où chacun prétend écouter l’autre sans jamais le faire réellement. Le non-sens quotidien des tâches et des relations, même sans toxicité affichée, conduit inévitablement au mal-être généralisé.
La perception sociale biaisée est particulièrement insidieuse : si tout le monde arbore un bonheur factice, ceux qui souffrent se sentent inévitablement inférieurs et isolés. Cette pression constante à la « positive attitude » est en réalité une torture psychologique moderne, minant la santé mentale des salariés et masquant les dysfonctionnements structurels. Le bonheur au travail n’est plus une quête, mais une tyrannie, un outil de contrôle silencieux qui anéantit l’authenticité et la résilience individuelle. Le système ne veut pas des émotions, il veut une productivité sans faille, peu importe le coût humain.