
Face à la paralysie engendrée par les grèves, des entreprises comme Boeing aux États-Unis n’hésitent plus à employer des méthodes radicales : le remplacement pur et simple des grévistes. Une pratique légale outre-Atlantique, où la législation fédérale autorise les employeurs à embaucher des salariés «permanents» pour suppléer ceux qui défendent leurs droits. Si les grévistes ne peuvent être licenciés, leur poste, lui, peut être pourvu définitivement, laissant planer une menace sombre sur la reprise de leur emploi.
En France, la situation est théoriquement plus protectrice pour les travailleurs. Le droit de grève, sanctifié par la Constitution, interdit formellement le remplacement direct de grévistes par des CDD ou des intérimaires. Une barrière légale qui semble robuste, mais dont la portée est souvent contournée. Les entreprises, loin d’être désarmées, disposent de moyens détournés pour pallier l’absence des salariés en grève.
La «réorganisation du travail avec les non-grévistes», le «recours à des cadres» ou même la «sous-traitance» sont autant de portes dérobées pour maintenir l’activité. La Cour de cassation elle-même a validé en 1979 la sous-traitance pour «les besoins de l’exploitation», ouvrant une brèche considérable. Certes, le sous-traitant doit utiliser son «propre personnel permanent», mais la subtilité juridique permet bien souvent de diluer la responsabilité et d’affaiblir l’impact des mouvements sociaux.
La SNCF a récemment illustré cette dérive en mobilisant ses «Volontaires d’accompagnement occasionnel» (VAO), des cadres formés pour remplacer les chefs de bord grévistes. Présentés comme des «renforts lors de pics d’activité», ces réservistes ont surtout prouvé leur efficacité pour «éteindre les effets du mouvement social» lors du pont de mai. Une manœuvre qui, bien que critiquée, a permis de satisfaire la direction et les voyageurs, au détriment de l’impact réel des grèves.
Dans un climat social tendu, la question du remplacement des grévistes soulève des interrogations fondamentales sur la portée réelle du droit de grève en France. Entre protection légale et contournements ingénieux, la capacité des salariés à peser sur les décisions patronales semble de plus en plus précaire, menaçant l’équilibre des forces dans le monde du travail.