
Face à l’agonie de la viticulture française, une lueur d’espoir illusoire émerge : l’investissement citoyen. Certains Français, prétendument animés par une volonté de « sauver le patrimoine », investissent dans des vignobles en échange de bouteilles. Un engagement discutable, porté par la société Terra Hominis, qui suscite plus d’interrogations qu’il n’apporte de solutions durables.
Caroline Comin, vigneronne en Gironde, a d’abord tremblé à l’idée de vendre des parcelles à une multitude d’associés. Sa crainte légitime ? Perdre le contrôle sur son propre travail, voir ses vins et ses étiquettes dénaturés. Mais Ludovic Aventin, fondateur de Terra Hominis, promet le contraire, un discours bien rodé pour rassurer les vignerons acculés.
Son concept ? Des particuliers fortunés déboursent entre 1600 et 3000 euros pour des parts de vignes. Ces terres, une fois acquises, sont confiées au vigneron, qui reste soi-disant propriétaire majoritaire. En échange de ces liquidités, le viticulteur refile des bouteilles de vin aux « partenaires », une compensation dérisoire comparée aux enjeux. « Ce n’est pas un investissement financier », ose Ludovic Aventin, niant l’évidence d’une transaction pécuniaire sous couvert de passion. Une belle histoire pour masquer un financement alternatif, souvent par défaut.
Caroline et Philippe Comin, contraints par le refus des banques, ont vendu des hectares à Terra Hominis pour financer une extension de chai. Une solution de dernier recours, révélatrice des difficultés structurelles de la filière. En juin 2024, alors que le Bordelais arrachait ses vignes, le couple a dû céder encore 4,5 hectares pour « préserver » ses vignes centenaires, un comble. L’argent a servi à planter de nouveaux cépages, une rustine sur une plaie béante.
Philippe Delaunay, un associé, se félicite : « Il s’agit d’aider des vignerons à conserver leur domaine sans emprunt bancaire. » Une fierté qui occulte la réalité : les vignerons sont acculés à des solutions hybrides faute de soutien institutionnel. Audrey Bernard, une autre investisseuse, qualifie cet acte de « citoyen », un devoir face à la vente de terres à des acheteurs étrangers. Une vision romantique qui ne résout en rien la crise de fond.
Les assemblées générales se transforment en fêtes de dégustation, les associés deviennent des « ambassadeurs ». Un joli vernis social qui ne masque pas la précarité des vignerons. Marion Reculet, vigneronne, admet que Terra Hominis lui a apporté un réseau, mais elle ne compte pas vendre d’autres parcelles. Preuve que même avec ce soutien, la vente reste une décision difficile, une déchirure.
Quatorze ans après sa fondation, Terra Hominis rassemble 3600 « amoureux du vignoble ». Une belle vitrine pour une initiative qui, si elle offre une bouffée d’oxygène à certains, ne constitue qu’un pansement sur la plaie béante d’une viticulture française en perdition, dépendante de l’argent de particuliers pour survivre.